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L’Effondrement ne veut pas dire la fin du monde mais qu’est-ce que cela sous entend ? Ces derniers mois des articles alarmistes posent la question de l’effondrement. Pablo Servigne qui a créé un nouveau champ d’études parle de la « collapsologie » ; faut il avoir peur de ça ?

Pour bien comprendre cette partie, je vous encourage à lire préalablement l’article sur les limites de la croissance qui pose le contexte actuel : http://www.raisingstars.org/the-limits-to-growth/

Les travaux de Dmitry Orlov

Nous avons peur de ce qui est inconnu ! Pensons juste à la personne qui va dans sa cave et entend des bruits détonnants et voit des ombres effrayantes. En allumant la lumière elle se rend compte que c’était juste une souris qui lui a fait peur.
Avec l’effondrement je pense que c’est identique. Alors voyons ce qui se cache derrière ce mot.
Nous pouvons reprendre les travaux de Dmitry Orlov écrivain et Ingénieur Russo-Américain né en 1962, pour cerner le sujet.
Il a créé une échelle avec cinq stades (en 2013 il a ajouté un sixième stade, le stade écologique) pour décrire ce processus.

 

 

1) L’effondrement financier : les banques ne répondent plus, l’accès au capital est perdu et les placements financiers réduits à néant,
2) L’effondrement commercial, les magasins sont vides, les monnaies dévaluées,
3) L’effondrement politique, le gouvernement a perdu sa légitimité et n’est plus un recours,
4) L’effondrement social : les institutions sociales ne remplissent plus leur fonction de protection,
5) L’effondrement culturel : les gens perdent leur capacité de bienveillance, d’honnêteté, de charité,
6) L’effondrement écologique : la bio diversité se meurt, la nourriture devient rare.(1)

Chaque stade de l’effondrement peut aisément mener au suivant et ils peuvent également se chevaucher.

Exemples dans le passé

Civilisations disparues
Dans l’histoire de notre humanité, des dizaines de civilisations ont atteint le niveau cinq et ont disparu (les Mayas, les Khmers, Assyriens…), pour des raisons climatiques, culturelles, politiques et économiques.

Crise de 2008-2009
Si nous prenons une époque plus récente, la crise de 2008-2009, les pays européens ont connu un niveau deux caractérisé par une crise financière (banques en faillites, cours de bourse qui plongent…) et un impact dans l’économie réelle (pertes d’emplois, fermetures d’entreprises…). L’Islande a atteint le niveau trois avec un impact fort au niveau financier, dans l’économie réelle et en plus une crise politique sans précédant. Dans des pays comme le Portugal et l’Espagne, les stades quatre et cinq sont touchés il y a indéniablement un impact social et culturel sur ses sociétés. Chypre fut particulièrement touché au niveau un à cause d’un secteur bancaire hypertrophié (2)
Trente cinq pays dans le monde ont eu des émeutes de la faim pendant cette période et pour nombre d’entre eux la situation reste critique encore aujourd’hui ; nous sommes pour ces pays assez avancés sur la plupart des stades.

Aujourd’hui

Face à la situation présente, nous ne pouvons donc pas avoir peur d’un possible effondrement car en fait celui-ci a déjà commencé et nous sommes « en plein dedans » dans une proportion non négligeable de pays.
Nous allons maintenant voir de façon plus ciblée, deux pays qui me sont proches et chers, la Suisse et la France.

Etude de cas : la Suisse

1. Financier
Le secteur bancaire suisse a souffert pendant la crise de 2008-2009 avec un renflouement d’urgence par la confédération. Aujourd’hui la situation a guère évolué et un crash financier international n’épargnera pas la Suisse, bien au contraire vu la place de ce secteur dans notre économie (15% du PIB).
La Suisse est également le pays du monde où les habitants sont le plus endettés (principalement à cause des hypothèques, où en cas de crise les banques pourraient comme en 2008 aux Etats-Unis réclamer les propriétés des particuliers en cas de défauts de paiements).
Parallèlement à cette épée de Damocles sur les finances suisses, des initiatives naissent ici et là d’habitats participatifs financés sans emprunt, de monnaies locales ; de partages des richesses, des débuts qui sont timides mais remplis de potentiel.

2. Economie/commercial
Même si la Suisse est considérée comme un pays riche avec une situation de quasi pleine emploi , elle cache une situation moins reluisante qu’il n’y parait. En effet les statistiques officielles donnent un taux de chômage de 2.1% (Source ORP) mais si nous prenons les critères utilisés internationalement par l’Organisation Internationale du Travail (chiffres ci-dessous dans le tableau 1), le chômage est en réalité de 4.2% (comparé aux 4.9% de l’Europe) – sauf Grèce, Italie et Espagne-
Le sous-emploi est quant à lui deux fois plus important qu’en Europe ; la Suisse n’est donc pas contrairement à ce que nous pourrions penser un paradis ! (3)


La Suisse étant fortement dépendante de ses exportations pour sa richesse nationale (72%, est la part du produit intérieur brut (PIB) helvétique qui émanait des exportations en 2013) (4), si le monde rentre en récession les ventes de machines outils, montres et chocolat vont fondre !
Si nous comparons notre taux de dépendance avec l’Allemagne 46%, la Chine 26% et les Etats-Unis 13%, la Suisse qui n’a pas de matières premières et une absence de débouché maritime est très exposée et en tant que nation est très peu résiliante sur cet aspect.
Parallèlement à ses fragilités, la Suisse a encore pu préserver une agriculture nationale (mais dépendante des énergies fossiles) qui pourrait rapidement passer à un modèle de micro-ferme résiliant pour alimenter sa population, cela est très positif.

3. Politique
Le modèle suisse qui est envié sur le plan international a une population qui est entrainée et mature dans l’utilisation de la démocratie directe. Les droits civiques sont cependant quasi inexistants pour 25% de la population qui est d’origine étrangère.
Les politiciens utilisent largement le processus du consensus pour prendre des décisions. Cela a pour effet positif de contrebalancer les choix qui pourraient être un peu trop précipités ou basés sur les égos mais qui pourraient être improductifs en cas de crise grave. Pour preuve le vote massif des citoyens pour les partis écologistes en septembre 2019, en réaction au dérèglement climatique n’a pas permis d’avoir un conseiller fédéral vert malgré l’urgence de la situation.
Le vrai défi de la classe politique suisse aujourd’hui est de pouvoir amorcer le virage économique qui tienne compte de l’urgence climatique et d’accorder aux étrangers plus de droits civiques.

4. Social
La Suisse a cette tradition de ne pas favoriser les institutions sociales et laisse une grande partie de cette tâche aux familles et individus. Ce positionnement crée une fracture quasi invisible mais bien réelle entre 20-25% de la population qui vit plus ou moins en mode survie et le reste qui vit relativement bien, voir indécemment bien. Ces derniers pour la plupart, n’ont pas idée de ce que peuvent vivre les moins pourvus, et peuvent développer des attitudes où ils ignorent voir rabaissent ces « assistées ».
En cas de recension ou d’effondrement la capacité de résilience de la Suisse serait moins grande que d’autres pays où la protection sociale et la solidarité sont plus grande.

5. Culturel
La culture de ce pays est aujourd’hui assez individualiste et il y a cette croyance forte que chacun est le mieux placé pour trouver des solutions à ses problèmes. En ayant développé un grand matérialisme, les relations personnelles ont une place moins grande que dans d’autres pays beaucoup plus résiliant sur ce point comme la France, le Portugal, l’Italie par exemples.
Dans le contexte d’effondrement, une fraction des citoyens pourraient perdre ce qui leur reste dans leur capacité de bienveillance, d’honnêteté et de charité.
Dans le même temps une partie non négligeable de la population comprend progressivement que la force du groupe ne vient que par la solidarité dont ses membres font preuve. Il se crée ainsi à travers le pays des ilots de solidarité, de prospérité et des zones où les murs dressés pour protéger ses biens sont à la hauteur de ceux dressés dans ses mêmes coeurs remplis de peur.

6. Ecologique
95% des terres arables suisses ont un stress hydrique critique -autrement dit le manque d’eau est très préoccupant pour les terres cultivables- malgré la verdure apparente de nos paysages.
Avec une température qui augmente deux fois plus vite que le reste du monde les glaciers fondent à vue d’oeil, pénalisant à terme l’électricité produite par les barrages qui représentent 57% de notre production nationale de courant. (5)
Les Suisses par habitant ont un bilan carbone catastrophique. La Suisse est en 20 eme position des pays à plus forte empreinte écologique (après, entre autres, les émirats du Moyen-Orient, les Etats-Unis ou le Canada, mais avant la majorité des pays européens) (6). Cela est du au fait que la Suisse externalise massivement son empreinte climatique à l’étranger avec un style de vie qui est au dessus de ce que la planète peut supporter (taux de SUV par habitant (7), voyages en avions, et croisières, marchandises importées de pays lointains…
Le tableau est cependant pas complètement noir, de nombreuses initiatives naissent pour protéger l’environnement par une foule de personnes sensibilisées à la question écologique.
De plus en plus de citoyens s’engagent dans un mouvement personnel de transition pour consommer moins de viande et plus de produits biologiques et locaux, essayant de travailler, vivre et consommer dans un rayon de vingt kilomètres, produisant moins de déchets, en étant plus raisonnable dans le choix des transports et dans la façon d’acheter en faisant mieux la différence entre l’essentiel et le superflu…
Le dilemme auquel font face les suisses est de faire un choix entre privilégier le monde des finances ou le monde des vivants car un nombre très important de multinationales ont leur siège en Suisse qui ne se cachent plus d’avoir des activités polluantes, qui détruisent la nature ou qui asservissent des populations dans des pays tiers.

Conclusion
Nous pouvons voir que nous sommes à la croisée des chemins pour un pays comme la Suisse qui pourrait montrer la direction en montrant l’exemple pour les autres nations en adoptant des mesures courageuses afin de rendre notre société résiliante face à l’effondrement en cours.
Nous sommes à un moment de l’histoire où tout est jouable, tout est possible, la Suisse n’a pas la tête sous l’eau comme d’autres pays qui lui permet encore, en toute conscience de prendre des décisions radicales mais empruntent de sagesse pour le futur de nos enfants.
Ce qui est intéressant est de voir que finalement l’avenir est remplit d’espoir car nous avons une large responsabilité dans la profondeur qu’aura l’effondrement en Suisse, plus nous arrivons à lâcher prise sur la chaise sur laquelle nous sommes assis du néo-libéralisme et plus nous arriverons à nous asseoir sur la nouvelle chaise où nous pouvons réinventer un monde résiliant pour demain !

 

Si cet article vous fait réfléchir ou vous encourage à passer à l’action, n’hésitez pas à me soutenir sur mon compte tipeee.

Références :

(1)

Les cinq stades de l’effondrement, par Dmitry Orlov


https://www.les-crises.fr/les-cinq-stades-de-l-effondrement/

(2)
https://www.contrepoints.org/2013/04/06/120732-la-crise-a-chypre-pour-ceux-qui-nont-rien-suivi

(3)
Vidéo de Michel Cornut sur le sujet :
https://www.youtube.com/watch?v=CQVMnFLzeNY

(4)
https://www.tdg.ch/economie/argentfinances/importance-exportations-suisse/story/28208084

(5)
https://www.pronatura.ch/fr/energie-hydraulique?gclid=Cj0KCQiA4NTxBRDxARIsAHyp6gBe80Bv6ZzpUdPuww0xIKDa_jEVfLL1J2npUS8FNSD1gga7r2iyin8aAppmEALw_wcB

(6)
https://www.rts.ch/info/suisse/7250250-la-suisse-dans-le-top-20-des-pays-a-plus-forte-empreinte-ecologique.html

(7)
https://www.lenouvelliste.ch/articles/suisse/automobile-les-suisses-achetent-des-voitures-toujours-plus-puissantes-820213

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