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En 2019, près de 900 condamnations ont été prononcées en Suisse parce que des citoyens sont venus en aide à des êtres humains en situations irrégulières dans le pays. La loi aujourd’hui ne permet pas d’apporter son aide à quelqu’un dans la rue sans prendre le risque d’avoir une amende et un casier judiciaire.

Une personne qui est dans une situation de détresse en face de moi, comment puis-je ne pas intervenir pour l’aider, d’autant que la loi m’oblige à porter assistance à une personne en danger ? Mais finalement faudrait-il lui demander son passeport avant de pouvoir l’aider ?

Norbert Valley a été l’un de ces 900 condamnés !
Il a été « interpellé » en février 2018 par les forces de l’ordre en plein déroulement d’un culte dans une église parce qu’il avait apporté son aide ponctuellement entre 2016 et 2017 à un migrant en situation irrégulière. Il a été condamné en août 2018 par ordonnance pénale à 10 jours amende avec sursit en première instance. Il a refusé de payer les 1000 chf d’amendes et a donc fait opposition à l’ordonnance pénale.
Hier se tenait l’audience au tribunal de police de la Chaux de Fonds pour le procès.

L’ambiance était solennelle, codifiée. A cause du Coronavirus, seulement 25 personnes étaient autorisées à entrer dans la salle, plus un grand nombre de journalistes !

Citations de Norbert Valley :

Je réfléchis avec le cœur.
Face à une nouvelle situation de détresse je recommencerai.
Avant d’aider quelqu’un je ne lui demande pas son passeport.
J’aide n’importe qui, quelles que soient ses opinions politiques, religieuses ou autres….
Je n’ai pas le choix d’aider. Je n’ai pas envie que Dieu me demande un jour : « Qu’as-tu fait pour cet homme ? ».
Pendant 15 ans j’ai hébergé à mon domicile des toxicomanes. J’ai aidé des chômeurs toxicomanes, des étrangers.

Pourquoi aider ? Il n’est pas possible pour moi de vivre une situation de non droit, je dois aider ces gens.
Si Christ a donné sa vie pour moi, c’est pour que je puisse la donner aux autres.

J’ai donné à ce migrant une clef de survie, tout cela n’était pas caché.

Que notre Suisse retrouve son humanité et je vous invite à ne pas «considérer un mal pour un bien».

Son portrait par plusieurs témoins :

Il a ce respect de la loi et respect des êtres humains.
Il est très cultivé, complètement dévoué aux autres, donne tout aux autres, des fois ne prend pas assez de temps pour lui, très humble, très sensible et peut parler avec des personnes en haut de l’échelle et aussi tout en bas de l’échelle.
Son aide n’est pas basée sur des critères de moralité, d’orientation sexuelle, de religion… il aide !
Il est un pasteur au grand cœur. Il est un vrai pasteur qui prend soin. Il est un pasteur et non un passeur ! Il a voué sa vie aux autres.

Jamin Vazquez, Pasteur

Dans une situation de vie, on essaye toujours de regarder ce qui est le meilleur pour la personne.

Pierre Müller, professeur honoraire en Théologie 

En tant que Chrétien peut-on aider ? Comment comprendre ce verset dans la Bible qui nous dit de respecter les autorités ?
Il faut d’abord sonder sa conscience pour voir ce qui est juste. Il y a un espace théologique, de liberté pour le croyant de ne pas respecter une loi. Une cause peut être juste et ne pas être conforme à la loi.
En tant qu’être humain on s’engage, en tant que citoyen on s’engage, l’engagement dépasse le champ purement spirituel.
Si l’état remplissait sa fonction de manière juste, il n’y aurait pas besoin d’intervenir dans de telles situations d’urgence.
Les citoyens doivent avoir une loyauté critique, est-ce une loi juste ?, est-ce une action juste ?
Il faut toujours rappeler à l’Etat ces principes. Actuellement, il prend très souvent des décisions qui sont en contradiction avec ces principes supérieurs. On pourrait dire que c’est une tâche de veilleur d’être attentif à ce qui se passe et protester, manifester.

Claude Ruey, ancien conseiller d’état, ancien conseiller national, ancien magistrat 

Le magistrat doit appliquer une loi, mais également trouver des solutions dans certains cas exceptionnels, avec conscience.
Il faut un minimum d’ordre mais qui n’est pas l’idéal absolu.

La révision de la loi sur les étrangers en 2006 sous l’ère Christoph Blocher, qui fut adoptée par le peuple, a modifié la fin de l’article 116 (1). L’ancienne disposition dispensait de peine les personnes qui agissaient pour tout « motif honorable ». La loi fut modifiée sans que nous nous en soyons rendu compte !

Cette loi devrait être modifiée à nouveau.

Marge de manœuvre possible dans la loi : articles 52, 53 qui évoque l’état de nécessité.

Dans la parabole du bon samaritain, le lévite ne s’est pas arrêté pour ne pas enfreindre la loi.
Le samaritain a enfreint la loi. Il a pourtant porté assistance à une personne en danger !

 

Plaidoiries 

Daniel Hirschi-Duckert

Olivier Bigler

Le migrant sans papiers, Il est là sans droits mais il a des besoins : il a faim, il a besoin de dormir…

Il n’a pas le droit d’être ici, et donc il est à la merci de certains, avec le risque d’être abusé ou corrompu par les trafiquants de toute sorte (drogue, réseaux de prostitution, employeurs sans scrupules..). Il est vulnérable.

Le droit tolère avec l’article 116 une petite zone d’aide.

Ce migrant n’avait aucune aide de l’état et il fait du bénévolat pour aider les autres !

L’article 12 de la constitution est fondamental pour ce procès :

« Droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse

Quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. »

Notre société a besoin de personnes comme Norbert. Il construit un pont entre des personnes qui ne se côtoient pas, il est le lien entre deux mondes. Condamner Norbert serait se tirer une balle dans le pied.

La condamnation du ministère public est une honte et son absence aujourd’hui une deuxième honte.

Un passage biblique : Hébreux 13:12 

« Ne négligez pas de pratiquer l’hospitalité. Car plusieurs, en l’exerçant, ont accueilli des *anges sans le savoir. »

L’enjeu va au-delà de cette salle d’audience, veut-on créer une société d’apartheid où nous sommes séparés d’une fraction des gens, sans droit de leur parler, de leur donner à manger…?

J’ai de la chance d’avoir un passeport suisse…d’autres n’ont pas eu cette chance, n’ayant pas choisi de naître dans certains pays…ils ont traversé un désert criminel, une mer criminelle…

Il y a une humanité commune, dans le droit maritime c’est une obligation de venir en assistance aux personnes en danger, idem pour la montagne et le désert mais chez nous, la loi nous oblige à fermer nos coeurs.

Liberté de conscience et de citoyen qui va bien au delà de la foi.

La condamnation de Norbert, n’est pas nécessaire et utile ; elle est arbitraire et ne sert en rien la politique migratoire.

Cette condamnation viole l’article 12 de la constitution 

Juge Alain Rufener

Verdict

Acquittement.

Ce dernier a considéré que Norbert Valley n’avait fourni qu’une aide ponctuelle et discontinue.

 

Conclusion personnelle

En voyant une foule nombreuse de soutiens, la présence d’Amnesty International, de diverses associations, en écoutant Norbert puis les six témoins à la barre et enfin la plaidoirie éblouissante des avocats, l’acquittement était pour moi la seule issue possible. Ce fut bien le cas !
Cependant la victoire avait un gout amer, le juge a utilisé dans son argumentation sa marge d’interprétation concernant la loi sur les étrangers, qui revenait à dire qu’une petite aide n’entraine pas de condamnation, mais qu’un soutien quotidien sur plusieurs mois donnerait un verdict : COUPABLE !
Comme n’a pas oublié de le préciser Norbert à la sortie de l’audience : « nous avons gagné une bataille mais la victoire n’est pas encore acquise ».
Maintenons donc une pression constante dans ce domaine pour faire modifier cet article 116 de la loi sur les étrangers, car hasard du calendrier ou pas, la semaine dernière (4 mars 2020), l’Initiative parlementaire déposée par Lisa Mazzone pour abroger la loi sur le délit de solidarité a été rejeté par la droite et de nombreux représentants du …PDC au conseil national à Berne ! (2)

 

Références :

(1)

Article 116 :

https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20020232/index.html#a116

(2)

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20180461

https://asile.ch/2020/03/05/delit-de-solidarite-le-conseil-national-a-rejete-linitiative-parlementaire-en-finir-avec-le-delit-de-solidarite/

 

Si cet article vous fait réfléchir ou vous encourage à passer à l’action, n’hésitez pas à me soutenir sur mon compte tipeee.

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